Pertuis, Vaucluse
Jazz à Pertuis/Festival de Big Band, 7-12 août 2017
Par le caractère original de sa programmation, la défense des grands orchestres de jazz français et européens, un tarif de billetterie entre la gratuité et de 6 à 16 euros pour les concerts payants, ce festival revêt un véritable caractère populaire. Il est soutenu essentiellement par la Mairie de Pertuis et reçoit quelques autres petits soutiens institutionnels et privés.
Léandre Grau est toujours le capitaine souriant de ce navire parrainé par Gérard Badini. On y vient de toute la région, sans tenue de soirée, dans la simplicité d’une atmosphère aussi familiale que sincère, et la présence de nombreux bénévoles, dont les élèves du Conservatoire de musique n’est pas pour rien dans la bonne humeur de ce festival enraciné dans un terroir. Nous étions absents comme de coutume pour la soirée Salsa réservée à la danse et pour la soirée du mardi ou se produisaient The Shoeshiners et l’Aubagne Jazz Band… Nobody’s perfect.
Lundi 7 août
Pour l’ouverture du Festival, le public a répondu en nombre, la file s’allonge à l’entrée et, après un
contrôle dans les normes mais sympathique, nous pouvons assister au lever de rideau sur la scène de la première cour de l’Enclos de la Charité. Depuis plusieurs années les musiciens de Tartôprunes, dont un grand nombre a fréquenté les classes du Conservatoire
de Pertuis, lancent le festival. Certains sont devenus professionnels d’autres sont là simplement par passion, par amitié et pour la «déconnade». La bande, une sorte de Blues Brothers and Sisters sont déguisé(e)s en clone d’américains. Un peu comme
dans les Village People, on retrouve la statue de la liberté, le cow-boy, le bandit… La présentation se fait en simili anglais et précise qu’il s’agit d’un «Trump Tribute» où les blagues potaches alternent avec des arrangements de titres venus de tous
les horizons. L’animateur remercie Léandre Grau de les avoir invités à venir depuis Memphis dans le Tennessee. Au passage, on entend quelques bons solistes, notamment le tromboniste Romain Morello et le trompettiste Valentin Halain. Le répertoire passera
par le rhythm & blues, le reggae (de Bob Marley), la soul, une manière d’hommage à George Benson version Broadway et Dalida sera ressuscitée. Après une bonne heure de concert, acclamés par la foule qui compte un grand nombre de copains, le
public a juste le temps de gagner la grande scène pour écouter le Big Band de Pertuis.
Tartôprunes: Caroline Suche (p), Maeva Morello, Valentin Halain (tp), Romain Morello (tb) Philippe Ruffin, Clément Serre, Alex Chagvardieff (g), Maxime Briard (dm) Bastien Roblot (g, perc, voc)
Cette prestation, présentée dans la programmation officielle, reste pour le Big Band de Pertuis son
concert majeur de l’année. D’une édition à l’autre, le Big Band a renouvelé son répertoire offrant ainsi une diversité de compositions et d’arrangements au service de l’ensemble et des solistes. Cette grande formation qui existe depuis 1984 a donné
sa chance à de nombreux jeunes musiciens; on retrouve dans ses rangs des anciens et leur relève. La chanteuse Alice Martinez, qui vient de terminer une longue tournée en Chine, s’affirme désormais au niveau national; elle apporte à cette formation
un complément de charme et de swing. Léandre Grau, directeur artistique du Festival et chef de troupe du Big Band de Pertuis, toujours aussi classe, présente la soirée et lance «l’artillerie». En première partie on pourra entendre «Flight of the Foo Bird» de Neal Hefti, enflammé par le solo du saxophone ténor Christophe Allemand, puis «Critic’s Choice» d’Oliver Nelson illustrés par de beaux solos du jeune sax alto Clément Baudier très inventif, du pianiste Yves Ravoux, discret mais ici très efficace, et de Romain Morello (tb), l’un des piliers de l’orchestre. Vont suivre «Don’t be That Way», «Between the Devil and the Deep Blue Sea» servis par une belle intervention d’Alice Martinez, «Bluesette» de Toots Thielemans avec un formidable arrangement de Mike Tomato et une mise en valeur d’échanges trombone/trompette. Toujours en pleine découverte, on retrouve un thème de Lennie Niehaus, musicien favori et collaborateur de Clint Eastwood, «Cream of the Crop». Pour les deux titres avant la pause, Alice Martinez, drapée de sa belle robe noire, rejoint la machine pour «Teach Me Tonight» et qui va exploser sur «Jumpin’East of Java».
La seconde partie toujours aussi enthousiaste présente des thèmes plus traditionnels, que de nombreux amateurs dans le public reconnaitront. On va ainsi voyager sur les traces de Count Basie avec «Basie Straight Ahead» à Duke Ellington avec «In the Sentimental Mood» en passant par «Spencer Is Here», «Satin Doll», «The Very Thought of You», «Blues in the Closet», «I Loves You Porgy», «I Thought About Uou», «Just a Minor Thing». Chacun y apportant sa juste contribution et son savoir-faire, notamment les parties chantées. Après un long concert très applaudi, le rappel sera «Get Happy» qui porte bien son titre vu l’acclamation du public et la joie qui semblait pétillait sur les visages de ces noctambules. Une belle soirée sous les étoiles du Vaucluse.
Big Band de Pertuis: Yves Ravoux (p), Gérard Grelet (g), Bruno Roumestan (eb), Stéphane Richard (dm), Christophe Allemand, Clément Baudier, Laurence Allemand (ts), Yvan Combeau (as) Jérémie Laurès (bs), Jean-Pierre Ingoglia, Romain Morello, Lonny Martin (tb), Bernard Jaubert (btb, tu), Yves Martin (btb), Yves Douste, Lionel Aymes, Roger Arnaldi, Valentin Halin, Nicholas Sanchez (tp), Alice Martinez (voc), Léandre Grau (lead)
Mercredi 9 août
Voici un quart de siècle que le Caroline Jazz Band anime avec passion un répertoire consacré au swing au blues et au style new-orleans. Originaire de Montpellier, le groupe a traversé pour des centaines de concerts maintes fois la France. Toujours
chaleureux les musiciens avec entrain ont réchauffé le fond de l’air un peu trop frais ce soir-là.
Caroline Jazz Band: Henry Donadieu (ts, cl), Gilbert Berthenet (tp, flh), Francis Guero (tb), Bruno Grau (g, bjo), Yves Butrefille (b), Michel Mozet (dm)
David Hitchen est un trompettiste anglais installé aujourd’hui dans le Gard qui a décidé en 2013 de réunir une équipe de jeunes et moins jeunes «cats» pour interpréter un répertoire de big band allant de Buddy Rich à Woody Herman. Au catalogue, on compte des thèmes de Count Basie, Stan Kenton, mais aussi de compositeurs moins connus tels Gordon Goodway, Bill Chase, Matt Catingub, Bob Florence. A l’âge de 13 ans, David Hitchen entre au Wigan Youth Jazz Orchestra de Grande-Bretagne où il rencontre le trompettiste américain, Bobby Shew, son maître et partenaire durant 10 ans. Très actif, il va jouer avec les orchestres de Monte Carlo pendant deux ans, lors de croisières du Royal Caribean Cruise Lines qui lui met le pied à l’étrier d’une carrière internationale (Europe, Chine, Etats-Unis). Parmi les musiciens les plus célèbres qu’il accompagné on peut citer le chanteur anglais Georgie Fame, The Drifters, The Platters, Barry White, Shirley Bassey et Maynard Fergusson. Fidèle à un esprit d’ouverture dans les styles (swing, funk, latin jazz, bande sonore de film), il réunit dans son orchestre des musiciens du Gard, du Vaucluse mais aussi de Pologne, Italie, Grande Bretagne…Pour cette première, il fait déjà office de vedette du festival. Ce soir, on entend entre autres «Strike Up the Band», «The Blue Machine», illustrés par deux solos intenses du ténor
Boleslaw «Bolo» Mielniczuk (de Pologne) et de l’altiste Cristina Santini
(d’Italie), «La Fiesta» de Chick Corea version Woody Herman, assez décapant, un hommage à Buddy Rich, «Nutville», sous la houlette du batteur ,«Get It on Bill» version Bill Chase, «Blue» un bel hommage à Blue Mitchell, trompettiste préféré de
Bobby Shew, salué ici au bugle. Programme complété par «Mira, Mira» et au final «Cruisin’ For a Bluesin’», les deux inspirés par Maynard Fergusson. Cette première partie comportait aussi «Tenor Each Way» et «Brotherhood of Man». Avant l’entracte
de cette longue première partie de plus d’une heure, David Hitchen a lancé une «trumpet battle» déchaînée avec le jeune trompettiste Sylvain Avazeri, perpétuant ainsi les défis traditionnels qui animaient les clubs. A la reprise le big band rallume
la flamme, car le fond de l’air était frais, le tempo reprend à toute allure avec plusieurs évocations de Buddy Rich «Funk City Ola», «In a Mellow», «Tone Beulah Witch»et «West Side Story». La direction de David Hitchen sait mettre en valeur
le talent de ses solistes et leur grande cohésion dans la subtilité des arrangements. Un chef d’orchestre qui sait aussi bien jouer de son instrument que de l’ensemble qu’il dirige. Très attentif à la connaissance des thèmes par le public il présentera
avec détails les titres, leur histoire et les rapports à sa carrière. Cette belle soirée suivie par un public attentif a aussi permis d’écouter, avant un final dédié à Maynard Fergusson, des titres plus rares comme «On Purple Porpoise Parkway» (Tom
Kubis), «Blues and the Abscessed Tooth» (Matt Catingub), «Imagination» (Frank Mantooth). Le concert se clôturait donc avec un clin d’œil au bienveillant Maynard qui veille sur l’orchestre, avec le splendide «Spirit of St. Frederick».
David Hitchen Big Band: David Hitchen (tp, lead), Rémi Pichot, Sylvain Avazeri, Manu Penlaver (tp), Bruno Hervat, Keith Hutton, Jean-Michel Stueber, Andy McKay, Vincent Bertin (tb), Philippe Castaldi, Cristina Santini, (as), Jérome Chalendard, Boleslaw «Bolo» Mielniczuk (ts), Hugo Beudez (bs), Gilles Marthan (p) Léo Chazalet (eb) Laurent Maurell (dm)
Vendredi 11 août
Le groupe Snap Fingirls nous propulse dans le jazz des années 1940 et 50, orchestré par 6 musiciens: Pascal Aignan (sax), Phillipe Anicaux (tp), Matthieu Maigre (tb), Sébastien
Germain (p), Lilian Bencini (b), Thierry Larosa (dm), et 3 chanteuses: Suzy Deschamps, à l’origine du projet avec son court-métrage «Snap Fingirls» qui est aussi prof’ de chant et pianiste; Sophie Teissier qui se produit régulièrement dans la
région avec son quartet ou d’autres formations; et Claire Leyat, chanteuse-guitariste et membre du duo Ohlala. Les trois chanteuses ont mis en paroles les compositions de Pascal Aignan et Sébastien Germain. Costumes d’époque aidant, le trio
nous emmène avec humour dans un petit voyage dans le temps à la suite des Andrew Sisters, et donne à entendre un joli ensemble de voix claires, souples et dynamiques. Ça pétille, ça swingue, ça dépayse…
Rendez-vous un peu plus tard dans la cour de la Chapelle de la Charité pour accueillir le François Laudet Big Band et rendre hommage à Buddy Rich à l’occasion du centenaire de sa naissance. François Laudet est un amoureux des big bands et un disciple des batteurs blancs de l’époque swing, adeptes du contre la montre et cogneurs infatigables; il joue d’ailleurs toujours sur une Slingerland, la batterie préférée de Buddy Rich et Gene Krupa, et son répertoire puise dans le réservoir de création des années quarante et cinquante («Groovin’ High», «Love for Sale», «Wind Machine», «Basically Blues», «Sister Sadie»…), sans pour cela être passéiste. Pour preuve, la féminisation très marquée du big band, où les «filles» empoignent fermement trombone ou baryton. Un bon point au leader pour sa contribution à la parité! Une formation dynamique et très équilibrée, où les solistes ont la place de s’exprimer, plébiscitée sans réserve par le public.
François Laudet Big Band: Thomas Savy (ts), Xavier Quérou (sax), Esaie Cid (s), Matthieu Vernhes (ts), Tullia Morrand (bs), Martin Berlugue (tb), Marc Roger (tb), Martine Degioanni (tb), Judith Weckstein (tp), Sophie Keledjian (tp), Michel Feugere (tp), Julien Ecrepont (tp), Malo Mazurié (tp), Carine Bonnefoy (p), Nicolas Peslier (g), Cédric Caillaud (b), François Laudet (dm).
Samedi 12 août
Le lendemain, rencontre expérimentale, sous le regard de Tonton Georges –grand moyenâgeux devant l’éternel, dont le portrait et l’œuvre illustrent le fond de scène–, entre musiques du XVIe siècle et jazz. Gageure pas si risquée
qu’on pouvait le penser, puisque ces deux musiques possèdent en commun une base rythmique forte et l’improvisation (qui a disparu ensuite). On pourrait ajouter leur même capacité à recréer à partir de matériaux populaires, les Ensaladas de
Mateo Flecha pouvant se comparer aux medleys du jazz. On a donc pu voir un quatuor extrait de l’Ensemble de cuivres anciens de Toulouse, avec Daniel Lassalle (sacqueboute), Jean-Pierre Canihac (cornet à bouquin), Brice Sailly (orgue et clavecin),
et Florent Tisseyre (perc) s’acoquiner avec un quintet de jazz: Denis Leloup (tb), Philippe Léogé (p), Jean-Pierre Barreda (cb) et Fabien Tournier (dm) pour jouer les œuvres de Diego Ortiz et Juan Vasquez. La rencontre des chacones, pavanes et thèmes
de jazz fait dresser l’oreille, et même si le swing ne retrouve pas tous ses petits, une dynamique s’installe, qui nous fait oublier les 400 ans qui les séparent!
La clôture du festival est confiée au Big One Jazz Big Band drivé par Stan Laferrière, grand arrangeur, chanteur, batteur, guitariste… et pianiste ce soir-là, qui nous propose aussi un retour aux sources avec sa «Big band jazz saga», épopée du jazz et des big bands depuis leur apparition au début du XXe siècle. Sous la forme d’un récit pédagogique alternant avec ses illustrations musicales se déroulent donc presque 100 ans de jazz: Stan le conteur invite son big band à se couler dans le rôle des grands orchestres qui se sont succédé depuis Fletcher Henderson et James Reese Europe jusqu’à Art Blakey et Wayne Shorter, en passant par les Basie, Ellington, Miller, Thad Jones, Lalo Schifrin… Stan l’arrangeur a adapté des standards de chaque formation, les détournant et les renommant avec humour: on a ainsi droit à «Conte basique», «l’Oreille est Hard», «Fly Me to the Case», etc.
Initiative intéressante, bien servie par des musiciens très professionnels et porteurs d’une grande culture musicale, qui réaffirme que le jazz n’est pas un genre musical, mais une culture qui a ses origines dans l’histoire sociale des Etats-Unis et de la communauté afro-américaine. Parfaite clôture d'un festival de big bands ayant pris racine(s) dans la volonté pédagogique d'une école de musique et dans une terre de culture.
Big One Jazz Big Band: Stan Laferrière (dir, arr, p), Antony Caillet,
Julien Rousseau, Benjamin Belloir, Mathieu Haage (tp), Cyril Dubile, Nicolas Grymonprez, Jérome Laborde (tb), Jean Crozat (btb), Christophe Allemand, David Fettman (ts),
Olivier Bernard, Pierre Desassis (as), Thierry Grimonprez (bar), Sébastien Maire (b), Xavier Sauze (dm)
Jazz à Pertuis présente depuis 19 ans des big bands, mais il existe un grand orchestre invisible –et c'est toute sa force– sans lequel ce festival ne pourrait pas exister, qui revient chaque année sans perdre son enthousiasme, sans se lasser, pour notre confort, celui des musiciens, notre accueil et notre plaisir: le big band des bénévoles avec à sa tête le plus jeune d’entre eux, Léandre Grau!
On attend impatiemment ce que nous réserve l’anniversaire des 20 ans…
texte et photos