Article Jazz Hot paru dans la rubrique sur la route des festivals en 2016 : |
Jazz à Pertuis-Festival Big Band, 1er au 6 août 2016 La 18e édition de ce festival, dont le bon esprit jazz ne se dément pas, innove quelque peu dans son titre, puisque nous voyons apparaître l’appellation «Jazz à Pertuis», avec en sous-titre le rappel de la spécialité du lieu: les big bands. Gageons qu’il s’agit là de donner un non plus direct car plus court que l’ancien. De fait, aucun changement dans l’organisation, l’esthétique et l’esprit, et cela fait du bien de retrouver, année après année, un festival très convivial qui respecte son identité jazz en respectant la musique qu’il propose (du jazz), la thématique qu’il a choisie (les big bands) et pour un succès public toujours constant, un public qui se forme d’année en année grâce au professeur Léandre Grau. Au demeurant, et malgré la modestie naturelle de Léandre, un enseignant à la Pagnol (La gloire de mon père), le festival est devenu un événement mondial jazzique quasi-unique. La qualité en jazz n’est pas une affaire de quantité ni d’accumulation de stars, mais d’esthétique, de culture, d'esprit, de dimension humaine et de conviction. |
Le 1er août, la traditionnelle ouverture par le Big Band de Pertuis sur la grande scène, est savamment orchestrée par son bras juvénile en première partie, les Tartôprunes, émanation partielle de la grande formation, réunissant les plus jeunes. «Jeunes» ne signifie pas ici approximatifs. Cela fait plusieurs années que cette formation ouvre le festival, et la jeune classe des musiciens de Pertuis et des alentours bouge mais ne faiblit pas, et rend parfaitement justice à l’esprit du festival. Le directeur musical en est Romain Morello, brillant tromboniste et soliste du Big Band de Pertuis entre autres, et on retrouve également plusieurs musiciens du big band. L’esprit est ludique, modeste et complice avec un public très populaire, au vrai sens du terme, on ne s’en étonnera pas pour ce festival sans grosses têtes. Le répertoire propose du jazz (Mingus par exemple, mais aussi des parties néo-orléanaises, Miles Davis, etc.), mais aussi de la musique populaire jazzée, « plaisantée », piratée avec beaucoup d’humour. |
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Le thème de 2016 étant autour de la sécurité, le groupe avait d’ailleurs choisi de se déguiser en pirates surveillant l’horizon, avec perruques, costumes et accessoires (sabre gonflable, brassards de sécurité, etc.), allusion non voilée (c’est déjà ça) à l’opération vigipirate (vigie et pirates). L’humour est donc au rendez-vous malgré la période. Brassens, dont le collège qui accueille le festival porte le nom, est au rendez-vous. Dans une cour pleine à craquer (plus de 1000 personnes, assises, debout, couchées…), ça rigole, ça swingue, ça chante et ça danse (les enfants surtout), avant que le groupe, qui ne se présente que par les prénoms, comme certains des big bands –Philippe (g), Clément (b), Alex (b, le MC à l’humour léger), Romain (tb, dir), Bastien (bon chanteur, voc, g), Valentin (tp, voc), Ezequiel (bon ts), la belle Caro’ (clav), Maxime (dm), Arno (as)– amène tout ce public, dans un rappel où alternent Miles (clapping) et esprit new orleans dans un défilé vers la grande scène et le second concert. Une bonne entrée en matière qui montre « qu’aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années » et qu’on peut être jeunes et déjà avoir du métier.
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Le concert du Big Band de Pertuis, introduit par le parrain légendaire du festival de Big Band de Pertuis, le grand et fidèle Gérard Badini, plein d’humour avec sa voix cassée de bluesman, se déroule en deux parties, sur la grande scène. Toujours aussi généreux (près de 2h de musique), le Big Band de Pertuis renouvelle d’année en année son répertoire. Léandre Grau dit que «c’est pour ne pas lasser…». La vérité, pour ce pédagogue amateur de big band, est qu’il aime le travail et la musique, le jazz, et qu’il veut jouer tout type de répertoire un jour ou l’autre. Le choix est aussi fait de la variété des compositions: on passe ainsi de «Lulu Left Town» de Mark Taylor à Lennon/McCartney, une composition des Beatles sortie tout droit de l’esprit du Basie Beatle Bag, album célèbre du Count, dont le big band de Léandre Grau s’inspire à n’en pas douter. «Between the Devil and the Deep Blue Sky» (Koehler et Arlen), «Daahoud» (Clifford Brown) sont l’occasion de re-découvrir l’excellente Alice Martinez (voc) à qui ce big band convient tout à fait. |
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Dans le seconde partie, parmi beaucoup de thèmes comme «Moment’s Notice» (Coltrane), «The Very Thought of You», «I Thought of You», «Bolivia», «If I Were a Bell », etc., on retiendra les bons ensembles, une écriture classique et l’intervention de solistes inspirés au premier rang desquels on retrouve Alice Martinez (voc), Lionel Aymes (tp), Romain Morello (tb), Christophe Allemand (ts), Maxime Briard (dm)… Une belle soirée de plus pour ce big band exemplaire de la cohérence culturelle profonde de ses instigateurs, car le festival est le point d’orgue annuel d'un travail qui ne s'arrête jamais, et qui va au-delà de la seule école de musique pour générer dans cette petite ville un engouement sincère et largement partagé par la population dans toute sa diversité. |
Le 2 août, c’est Marseille qui est invitée à Pertuis, avec le Phocean Jazz Orchestra de Thierry Amiot, un autre prof’ du Conservatoire de Marseille venu avec sa classe de jazz, et, en première partie, une habituée de Pertuis, la talentueuse et dynamique Mariannick Saint-Céran (voc) qui rend un hommage original et profond à Nina Simone qui passa une part de sa vie non loin de là, en Provence. Ce «We Want Nina» est savamment préparé pour évoquer toutes la facettes de la légendaire artiste, car Nina Simone, comme tous les grands artistes, a d’abord fait du Nina de tout ce qu’elle a abordé, le jazz et le blues entremêlé bien entendu, mais aussi la variété, les standards, la chanson. Nina a été une artiste profonde, engagée sans avoir besoin de le dire comme l’est la grande musique afro-américaine, par essence. Le répertoire retenu par Mariannick est bien équilibré pour témoigner de cette œuvre, et la voix elle-même et l’expression de la chanteuse se prêtent parfaitement à cet hommage, sans faiblesse avec le nécessaire respect pour Nina, une Diva, pour le plaisir d’un public toujours aussi nombreux et attentif. «It Ain’t Necessarily So» (Gershwin), «Love Me or Leave Me» (Donaldson-Kahn), «Be My Husband» (Nina Simone), un duo voix-batterie magique, «Old Jim Crow» (Nina Simone), «Work Song» (Nat Adderley), «For Four Women» (Nina Simone), «My Baby Just Cares for Me» (Donaldson-Kahn), «Black, Young and Gifted», etc., ont évidemment débouché sur un rappel mérité. Mariannick Saint-Céran était bien entouré de Laurent Elbaz (clav-org), Lamine Diagne (ts), Cedric Bec (dm) et de Marc Campo (g) qui est un excellent guitariste de blues dans «Old Jim Crow», dans la tradition électrique dénuée de ses extensions rock, ce qui est rare à trouver en dehors de la tradition américaine. |
La seconde partie, à 21h30, comme toujours décomposée en deux sets, présentait donc le Phocean Jazz Orchestra (cf. la formation en fin de compte rendu) mêlant des élèves et des prof’s du Conservatoire de Marseille, des anciens pas très âgés, dont l’excellent bassiste, Franck Blanchard, à l’origine du projet dirigé par Thierry Amiot qui signe la plupart des arrangements. Comme annoncé, le programme présentait d’abord un répertoire «acoustique», sous-entendu jazz classique, puis une partie «électrique», sous-entendu un répertoire plus récent, se traduisant par le passage à la basse électrique et aux claviers synthétiques. Le premier set présenta en effet des compositions d’Horace Silver («Nutville»), bonne entrée en matière, Count Basie («Flight of the Foo Bird» de Neal Hefti, «One O’Clock Jump»), un bon «When I Fall in Love», belle ballade où le chef Thierry Amiot a fait briller sa trompette, sa sonorité et sa technique, Charles Mingus («Nostalgia in Time Square»), un fort beau thème mis en valeur par un bon chorus du saxophoniste alto, Thomas Dubousquet, et du contrebassiste, Franck Blanchard, et pour finir le set un thème hispanisant de Chick Corea, «La Fiesta», qui aurait pu se trouver en seconde partie. Cette première partie, fort agréable et appréciée, malgré quelques belles interventions du chef, resta sage, à l’exception du thème de Corea où l’orchestre se libéra. Le second set «électrifié» commençait bien, par un bon «A Night in Tunisia», où le leader faisait encore apprécier sa belle virtuosité dans les aigus qu’exige ce thème du grand Dizzy Gillespie, thème qui aurait pu d’ailleurs finir la première partie à la place de «La Fiesta», pour la cohérence du programme, malgré l’électrification… Puis vint la thématique annoncée, plus électrique avec ses lignes de basses accentuées, plus funky, plus récente aussi, avec «Mercy, Mercy, Mercy» de Joe Zawinul, et si le thème est plus rudimentaire, bien que balancé, paradoxalement l’interprétation de l’orchestre est plus enlevée, plus possédée, les trompettes, les sax, tous en fait, dansant leur musique avec conviction… et un plaisir évident (sourires). |
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Puis, nouvel écart par rapport au programme, l’orchestre choisi de mettre en valeur le régional de l’étape, le lead Hugo Soggia (tb), sorti des classes de Léandre Grau pour aller suivre l’enseignement du Conservatoire de Marseille. Hugo a choisi «Georgia», immortalisé par le grand Ray Charles (bien qu’il en existe d’autres très belles versions), et la réussite est au rendez-vous d’un superbe chorus de trombone, avec de beaux arrangements, cette fois très classiques bien qu’originaux, de Thierry Amiot. Sans doute, un des meilleurs moments sur le simple plan de la musique, car ce morceau réunit toutes les qualités d’expression, de répertoire et d’intensité, de blues et de swing. Retour au funk avec le «Chameleon» d’Herbie Hancock, arrangé par Maynard Ferguson si nous avons bien compris le chef car c'est une de ses inspirations, en bon virtuose de la trompette, et là encore, la simplicité du thème mais la tonicité rythmique, provoque l’électrochoc nécessaire au dépassement de l’orchestre, pour un moment intense de partage avec le public. La suite avec «Strasbourg-St-Denis» de Roy Hargrove, «Pick-Up the Pieces» de l’Average White Band, fut dans la logique de cette bonne soirée, très enlevée, par un orchestre plus familier de Weather Report, du R’n’B, du funk, que de l’univers plus lointain de la swing era dont les musiciens ne possèdent pas la clé sur le plan émotionnel et de la sensibilité, individuellement et collectivement, malgré une exécution tout à fait acceptable et bien travaillée. Ce constat était finalement clarifié par le rappel sur un thème de Mercer Ellington «Things Ain’t Not What They Used to Be», joué sur un tempo shuffle accentué, réunissant les deux univers. Le public a tout apprécié, mais sans doute plus la seconde partie, et il n’avait pas tort. Quoi qu’on pense de la plus grande qualité des compositions de Mingus, Silver, Basie (ou ses arrangeurs), Gillespie, bien que «A Night in Tunisia » se soit prêtée à la deuxième manière, c’est sur des thèmes qui appartiennent davantage à la culture de la génération de cet orchestre que les musiciens sont les plus libres, les plus persuadés, les plus rentre-dedans, qualités essentielles pour l’expression en big band. On peut danser sur le répertoire de Basie, Silver ou Mingus, mais c’est une danse différente. Un bon big band en devenir, il n’a que 2 ans, avec outre le chef, excellent trompette, auteur de bons arrangements, un bon bassiste, Franck Blanchard, un bon batteur de big band, Nicolas Reboud, un excellent altiste, Thomas Dubousquet qui promet beaucoup, et en général de bonnes mais rares interventions des moins jeunes de la section de saxophones, Samuel Modestine (bar) et Thierry Laloum (ts) qui possèdent leur réserve de blues. |
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Le 3 août, retour dans le temps avec le groupe, néo-orléanais dans l’âme, du toujours jeune et pétillant Pierre Bruzzo, un disciple de Sidney Bechet qui nous a dit ne pas avoir été de la fête parisienne de l’Olympia, l’automne passé pour les 60 ans du concert de l’Olympia. Une erreur de casting à n’en pas douter, car, entouré de Philippe Bruzzo (tb), Guy Mornand (g), Philippe Coromp (p), Bernard Abeille (b), Alain Manouk (dm), Pierre Bruzzo (ss) a fait revivre l’univers du grand Sidney Bechet par la manière, un son de saxophone vibrant et intense, malgré les printemps qui s’accumulent, ce dont a plaisanté un leader en verve. |
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Il a également repris le répertoire du légendaire Néo-Orléanais qui fait encore partie de l’inconscient collectif, à Pertuis comme partout, puisque le public a réagi en connaisseur aux différents thèmes : «Struttin’ With Some Barbecue» (Lil Harding), «Ain’t Misbehavin’» (Fats Waller), «Le Marchand de poissons» (Bechet), un «Glory Hallelujah», hymne américain repris à la Bechet, comme il le fera de l’hymne provençal, «La Coupo Santo», un peu plus loin, l’indispensable «Petite Fleur» (Bechet), vibrant à souhait, les inusables «Some of These Days», «On the Sunny Side of the Street» avec, pour la partie vocale, Philippe Bruzzo et un chorus de contrebasse de Bernard Abeille, «Dans les rues d’Antibes» (Bechet), et en rappel l’incontournable «When the Saints», pour le plus grand bonheur du public. Dans la bonne formation, on a remarqué le style Hawaïen et savant de Guy Mornand (citation «traditionnelle» de la Rhapsodie n°2 de Liszt). Bechet étant inépuisable, on avait encore de la réserve, mais il fallait laisser la place à la seconde partie de la soirée. |
L’Azur Big Band, parce qu’il vient de Nice, est venu nous rappeler l’attentat tragique qui a endeuillé l’été 2016. C’est avec tact que le leader de la formation, Olivier Boutry, les a évoqués dans le cours du concert. La formation, très professionnelle dans sa présentation et son programme, proposait un répertoire classique dans l’esprit de ce qu’ont pu produire les grandes formations américaines depuis l’ère de la swing era, alternant instrumentaux et accompagnement de chanteurs/ses de variétés influencées par le jazz. Il y avait ainsi une chanteuse américaine, Jilly Jackson, efficace, et un crooner américano-suédois, vivant sur la Riviera, ainsi présenté, Ricky Lee Green, au beau phrasé évoquant l’idéal universel du genre qu’est Frank Sinatra. Au physique rappelant Thierry le Luron, il a de réelles qualités d’expression dans ce genre. | |
L’orchestre, dans la partie instrumentale, dirigé et présenté par Olivier Boutry, a proposé en ouverture, comme en fin de concert un classique blues, bien tourné, joué avec toute l’énergie nécessaire, de bons chorus de Laurent Rossi (p) et de Bela Laurent (tb). De bons «Flying Home» (Goodman-Hampton, immortalisé par Lionel Hampton et Illinois Jacquet), «Sing Sing Sing» (Luis Prima), avec un bon chorus de batterie sur les peaux in the tradition (Krupa-Rich), «Mambo 5» , le «Ticle Toe» de Lester Young immortalisé par le Count basie Orchestra ont démontré que cet orchestre, sans mettre en avant ses solistes, a de belles qualités d’ensemble, une rigueur et une énergie qui séduisent le public connaisseur car elles sont des qualités indispensables d’un big band. «Cry Me to the Moon», «Fly With Me», «Fever» , «I Love You», «The Lady Is a Tramp», «You Are the Sunshine» et autres standards, ont mis en valeur Ricky Lee Green et la belle Jilly Jackson, avant un rappel réunissant tout le monde sur la très fréquentée «Route 66», pour le plaisir non dissimulé d’un public encore nombreux, et pour la plus grande satisfaction des musiciens, ainsi récompensés, de ce bon collectif. |
Le 4 août, le jeudi, est comme chaque année dévolu à la salsa, une sorte de respiration du jeudi, qui se présente très clairement pour ce qu’elle est, un à-côté du festival, et qui est l’occasion aussi pour le public de danser. Nous n’y étions pas mais ça a chauffé pour le plaisir des danseurs d'après les échos du lendemain. |
Le 5 août, c’est le beau quartet de Bastien Ballaz qui a introduit une soirée de découvertes. Le tromboniste, qui a été à bonne école (Conservatoire de Marseille, Bruxelles avec Phil Abraham, etc.), est un excellent compositeur, instrumentiste, et il a côtoyé déjà du beau monde (Cécile McLorin Salvant, Liz McComb, Bill Mobley, James Carter…). Entourée de jeunes musiciens excellents (Maxime Sanchez, p, Simon Tailleu, b, Gautier Garrigue, dm), il joue le répertoire du jazz («Four in One», Monk, «Henya» d’Ambrose Akinmusire) et sa musique originale, des suites qui alternent des atmosphères, un beau récit qui témoigne d’une vraie imagination très «cinématographique» («Lullaby», «Synopsis», «New Orleans Drunk Party») qui évoquent d'autres références, les compositions de Charles Mingus ou Horace Silver par exemple. Ils ont eu droit à un rappel mérité («Lost in My Dreams» de Bastien Ballaz). Un musicien à suivre! |
La seconde partie invitait un groupe allemand, le Lutz Krajenski Bib Band, composé de 13 musiciens dont deux chanteurs très intéressants, Ken Norris, parfaitement francophone car séjournant régulièrement en France, et Myra Maud, une très belle Parisienne aux racines malgaches et martiniquaises, tous deux possédant de réelles qualités musicales et un métier certain. Lutz Krajenski est le leader, pianiste et organiste de cet orchestre, aussi professionnel que d’autres dans ce festival, mais avec une touche supplémentaire qui confère une dimension plus dynamique au spectacle. Le public ne s’y est pas trompé, et c’est dans cette soirée que les danseurs sont venus sur le devant de la scène pour participer à un moment fort de cette édition. |
Le répertoire éclectique, parfois variété américaine, soul, teintée de jazz ou de ferveur avec ses deux chanteurs talentueux, parfois même brésilien, parfois broadway (West Side Story), sans être le plus jazz de la semaine, possédait cette étincelle qui a déclenché l’enthousiasme du public et une bonne soirée. De beaux arrangements, avec des ensembles de flûtes en particulier, donnait une couleur particulière au big band, et il y avait dans chaque pupitre un solide soliste capable d’enrichir les ensembles de bons chorus. Terminé sur un beau «Everytime We Say Goodbye» par l’excellent Ken Norris et sur un rappel enfiévré sur l’inusable «Cheek to Cheek» et un bon duo Ken Norris-Myra Maud, ce moment a permis de vérifier qu’en matière de big band, l’énergie, la conviction sont une des composantes importantes pour le public, un élément de métier autant qu’une donnée générale de l’expression artistique. |
Le 6 août, c’est le sextet d’Olivier Lalauze (b, comp, arr)
qui ouvrait la soirée de clôture, en compagnie d’Ezéquiel Célada (ts), Alexandre Lantieri (as, cl), Romain Morello (tb), Gabriel Manzanèque (g). Après une formation au sein de l’IMFP de Salon-de-Provence, puis du Conservatoire d’Aix-en-Provence,
Olivier Lalauze en parallèle à ces activités d’accompagnateur (Cécile McLorin-Salvant, Archie Shepp, Cie Nine Spirit, Jean-François Bonnel…) développe depuis 2012 un projet en sextet. C’est un groupe bien soudé qui défend un répertoire original.
Fort d’un prix au Tremplin Jazz de Porquerolles en 2015 qui lui valut une programmation à Jazz sur la Ville puis à assurer un première partie d’Otis Taylor cet été, le sextet se produit régulièrement sur les scènes du Sud dont il est l’une des jeunes
formations les mieux rodées. Sa musique s’inspire autant de Charlie Mingus, époque petit combo, que de la musique contemporaine et se présente souvent comme des petites suites
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L’attention du public est requise car le groupe ne pratique pas les habituelles séquences du jazz (exposition-chorus) dans un festival où le public a été formé à ça. Le pari fut réussi malgré parfois quelques silences interrogateurs. Pour le rappel, Olivier Lalauze a proposé un thème sur la Guerre d’Espagne, revu et corrigé dans l'esprit du Liberation Music Orchestra de Charlie Haden. |
Le dernier concert du festival était très attendu, avec le programme annoncé en deux parties, musique profane-musique sacrée, du Duke Orchestra de Laurent Mignard qui consacre son travail à une relecture proche de l’original de l’œuvre de Duke Ellington (cf. Jazz Hot n°656). Le concert avait lieu à guichets fermés, ce qui a été le cas de la plupart des soirées, et, ce soir-là, on a refusé du monde… | |
La première partie a été l’occasion de constater que l’orchestre a les moyens artistiques de ses ambitions, et le public a répondu par une belle ovation à un set de haut niveau. Sur les «standards» du répertoire ellingtonien «I’m Beginning to See the Light», «Take the ‘A’ Train» (chorus Philippe Milanta, Jérôme Etcheberry), «Cotton Tail» (Carl Schlosser, Fred Couderc), «Rocks in My Bed» (Sylvia Howard), «Just Squeeze Me» (Sylvia Howard, Jérôme Etcheberry), etc., l’orchestre répond au défi avec beaucoup d’énergie, de mise en place et de sensibilité à cette musique. Le savant et grand pianiste Philippe Milanta est l’élément indispensable de l’ensemble comme en témoigne l’extraordinaire «Rockin’ in Rhythm», et Jérôme Etcheberry apporte ses contrechants et sa puissance à la Cootie Williams, quand Richard Blanchet colore l’ensemble de ses aigus dans la tradition de Cat Anderson. Myra Maud, présente la veille, est à nouveau de la fête, et c’est sur un «It Don’t Mean a Thing» incandescent, en présence des deux chanteuses et du danseur Fabien Ruiz (claquettes) que se termine ce premier set exceptionnel. |
La seconde partie proposait une relecture de la musique sacrée de Duke Ellington, l’orchestre étant soutenu pour l’occasion par deux chorales (Chorale du Pays d’Aix, Chorale Free Son). Si le travail est encore ici considérable, la réussite est moindre. La musique religieuse américaine, même celle du Duke, nécessite une certaine ferveur qu’ont pu rendre les deux chanteuses, elles-mêmes de cette culture ou de ce feeling, mais étrangère au reste de l’orchestre et surtout aux chorales. Très attentifs au respect de cette musique, ils ne possèdent pourtant pas cette conviction intérieure nécessaire à ce registre. Bien sûr le «Come Sunday», immortalisé par Mahalia Jackson et Duke Ellington, reste un magnifique moment, et cela n’enlève rien ni au talent, ni au travail exceptionnel de cet ensemble pour cette partie du répertoire, mais si le jazz d’Ellington, dans sa tradition instrumentale non sacrée, peut supporter des relectures extérieures au monde afro-américain, fidèles ou moins fidèles, pour peu que les instrumentistes solistes aient une vraie intériorisation du blues et du swing et un respect de l'œuvre, cela devient contestable pour la musique à vocation religieuse ou le blues, la voix ne pardonne pas. | |
L’ensemble manquait d’âme, malgré les excellentes Sylvia Howard et Myra Maud, un Philippe Milanta hors pair et un chef très pédagogique.
Cela n’empêcha pas une conclusion enthousiaste, un public debout et une fin de festival chaleureuse, où Laurent Mignard –qu'il faut féliciter pour l'étendue de son travail autour de l'œuvre d'Ellington, un grand compositeur du XXe siècle– n’en finissait pas de remercier avec son talent de showman, et son humour, un Léandre Grau et son équipe (une sonorisation de big bands sans faute pendant une semaine, bravo!) qui le méritent, et qui ont eu droit, tout au long d’un festival bien rempli et pourtant convivial, sans service d’ordre intempestif, aux éloges de tous les orchestres, pour le son, l’organisation, l’accueil et l’ensemble.
Un festival de jazz, avec un programme jazz, populaire à tous les sens de l’adjectif, qui ne sombre pas dans la mondanité, est donc encore possible, et c’est tant mieux pour le jazz qui retrouve ses valeurs! |
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Yves Sportis
Photos Ellen Bertet et Marcel Morello by courtesy of Jazz à Pertuis © Jazz Hot n° 677, automne 2016
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1/8/2016
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