Article Jazz Hot paru dans la rubrique sur la route des festivals : |
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Pertuis, Vaucluse Dans l’Enclos de la Charité, aujourd’hui Lycée Georges Brassens, distribué entre deux cours très IIIe République où trône la devise nationale, se déroulait la 17e édition de ce festival hors norme puisque le cœur de la programmation est constitué de grandes formations de jazz. Pari au départ un peu fou sur le plan du budget, de la logistique et de la programmation, il a tenu au soutien des acteurs locaux dont la municipalité, au public, à la passion et à l’imagination de Léandre Grau – et de son équipe – lui-même directeur du festival et du Big Band de Pertuis, de donner corps à cette entreprise. En dehors d’une master-class qui expose les fruits de son travail sur les terrasses de Pertuis vers 18h, le déroulé des soirées alterne une première partie dans la première cour (19h30), avec une petite ou moyenne formation et une seconde partie dans la cour de la grande scène des big bands (21h30). La première partie du premier soir fut particulièrement épicée cette année avec Tartôprunes, la formation locale, émanation partielle du conservatoire et du big band de Pertuis qui a inauguré de manière festive entre fanfare new-orleans, parodie, funk et jazz cette belle semaine de jazz. Arnaud Farcy (as), Romain Morello (tb), Ezequiel Celada (ts) ont été brillants dans cet ensemble costumé et très ludique, d’un bon niveau musical. Un dessert en introduction, goûté du public qui en a redemandé. |
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Suivait le Big Band de Pertuis dirigé par Léandre Grau, introduit avec le sourire de Gérard Badini, pour un répertoire très enlevé faisant appel aux mânes de Count Basie et de ses arrangeurs pour l’esthétique, dont Sam Nestico et Quincy Jones, mais aussi du regretté Yvan Jullien disparu en 2015 («Blues in the Night»), voire à «Daahoud» marqué par Clifford Brown et Max Roach, ou «Softly as in a Morning Sunrise», Chick Corea et son «Crystal Silence», et bien sûr les standards «Come Rain or Come Shine», «A Tisket A Tasket» immortalisé par Ella Fitzgerald, etc., un répertoire brillamment restitué qui a conquis le public et qui a été mis en valeur par de remarquables solistes, les «anciens» Lionel Aymes (tp) ou Yves Ravoux (p) ou les «modernes» comme Christophe Allemand (ts), Romain Morello (tb) et une remarquable chanteuse, Alice Martinez, qui a donné parmi les meilleurs moments de la soirée, possédant le drive, la présence et l’expression nécessaires à l’authenticité de cette musique. Le lendemain, Martine Kamoun (voc) en quintet a proposé sa relecture de beaux standards («Along Came Betty», «You Go to My Head») voire de belles compositions d’Hank Mobley ou Freddie Hubbard («Up-Jumped Spring»), agrémenté de quelques originaux (paroles) et ponctué par un «That’s All», etc. Brillamment secondée par un Gérard Murphy (as) toujours aussi lyrique, un trésor bien caché en Provence, et un excellent Sébastien Germain (p, «That’s All»), Alain Couffignal (dm) très à l’écoute de la musique, la chanteuse a offert un très bon moment de jazz. Elle n’est pas virtuose mais possède la connaissance intime de ce type de jazz. La seconde partie de soirée nous a proposé une autre grande formation régionale, le Garden Swing Big Band de Gardanne, dirigé par Gérard Moretti, qui témoigne que le big band de jazz fut, dans la tradition américaine, le support à la grande variété américaine de qualité, comme Frank Sinatra, Bing Crosby… une cohorte de belles voix jazzy nous le rappellent, mais aussi latines, soul et rhythm and blues. Une chanteuse et deux chanteurs, offraient d’ailleurs l’illustration de ces répertoires avec des voix appartenant plus à ces registres de la grande variété jazzy (Katy Grassi et Fred Mendelson) ou blues-soul-rhythm & blues (Jean Gomez). Les ensembles possèdent un vrai punch, une brillance, ce qui étaient la marque de ces grands big bands. Marcel Baux (tb) a pris pas mal de bons chorus. De «Love for Sale» à «Mack the Knife» en passant par Charles Trenet et «La Mer», les Beatles, version crooner, le rhythm and blues ou Freddie Mercury, le public a apprécié le voyage. Le 5 août, retour aux sources avec les Tontons Zwingueurs pour un relecture de la thématique néo-orléanaise, sans prétention, avec un petit sourire même comme celui du banjoïste et chanteur Jack Berbiguier interprétant «Menilmontant» à la néo-orléanaise. Pas de surprise dans le répertoire avec «On the Sunny Side of the Street», «Careless Love», «Do You Know What It Means…», «It Don’t Mean a Thing», «Petite Fleur», «I Found a New Baby», etc., mais le jazz est une musique de mémoire, et contrairement à ce que certains pensent, on vient parfois y trouver ses racines, même pour le public. Et ce répertoire appartient aux racines du public de jazz en France. |
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Pour la découverte, il suffisait de passer d’une cour à l’autre, ce soir-là, pour écouter l’orchestre de Romain Thivolle (arr, dir) et Loïs Cœurdeuil (g) «Django Revisited», dédié comme son nom l’indique à la musique de Django Reinhardt, relue par ces deux jeunes musiciens.
La découverte du festival méritait le détour, car il n’y a aucune faiblesse ou servilité dans cette relecture. Les arrangements combinent avec intelligence un répertoire bien choisi («Féérie», «When Day Is Done», «Tears», «Troublant Boléro», «Nuages» (joué sans guitare) avec un chorus de trombone de Romain Morello, «Mélodie au crépuscule», «Minor Swing», «Belleville», etc.) avec de belles introductions, originales, des assemblages sonores inédits et pourtant dans l’ensemble une belle fidélité à l’original, car ces mêmes arrangements n’hésitent pas à évoquer parfois les sources et le son d'époque. Simplement, bravo! Il n’y avait rien de facile dans ce projet, et quand de plus, un jeune musicien, un guitariste, propose, avec une réelle virtuosité pas du tout ostentatoire ni démonstrative, le complément de musicalité sur l’instrument-même (à peine décalé, une demi-caisse) du divin Manouche, il y a de quoi perdre le contrôle de son enthousiasme, ce que fit avec sensibilité un public très attentif et connaisseur qui comprit que cette soirée serait la plus originale du festival. L’orchestre, jeune dans l’ensemble, a fait preuve de maestria dans une exécution parfois complexe, et bien entendu le soliste Lois Cœurdeuil s’est taillé, sans excès, la part de Django, qui reste objectivement grande pour ce programme. L’orchestre a eu du mal à se séparer du public. La musique de Django reste populaire au meilleur sens du terme, et méritait cette relecture; on espère que le projet n’est pas éphémère. Ce qui immortalise les big bands, c'est aussi la durée de vie d 'un orchestre et d'un répertoire.
Le jeudi était le jour de la salsa, une soirée très prisée à Pertuis, et celle de la pizza marseillaise pour votre serviteur, la meilleure du monde avec celle de Naples. Retour le vendredi à Pertuis, pour une entrée en matière très arrangée par un orfèvre en la matière, Stan Laferrière et ses Dirty Airman. Ce soir-là, Stan proposa un retour aux sources très pédagogique et toujours brillamment orchestré, depuis Scott Joplin et («The Entertainer», «Maple Leaf Rag», mais aussi King Oliver et Louis Armstrong («Tiger Rag», «St. James Infirmary»), Jelly Roll Morton («Wolverine Blues»), Sidney Bechet («Muskrat Ramble»), Duke Ellington («The Mooche»), enfin un programme néo-orléanais en diable («Royal Garden Blues») et un clin d’œil à Louis en rappel («What a Wonderful World»). Notons en invités, l’excellente Deborah Tropez au washboard («Washboard Wiggles»), et le magnifique Nicolas Montier venu en copain nous gratifier sur son ténor de beaux chorus dans la veine de Coleman Hawkins. |
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Sur la grande scène, un peu plus tard, on retrouva le ténor et ses somptueux chorus («Some of these Days», etc.), au sein du Saint Louis Big Band, dans un spectacle intitulé «Cotton Club Legend», une sorte de revue musicale dans la tradition, présentée par Gérard Gervois (tu), où Nicolas Montier (ts, cl) fit l’offrande de son énorme talent, où le savant Jean-François Bonnel, s’autorisa trop rarement un chorus suave dans la veine des pères fondateurs (Hodges-Smith-Carter) et où Thierry Ollé (p) fit preuve de sa virtuosité. Laurence Jay illustra la chanteuse de jazz de l’époque avec un bon jeu de scène.
La musique fait appel aux arrangements de Fletcher Henderson, Duke Ellington, mais ne dédaigne pas quelques écarts comme un «West End Blues» de haute volée de Nicolas Gardel, avec la reprise de la fameuse introduction de Louis Armstrong, ou un «As Time Goes By» bien senti par Laurence Jay et Thierry Ollé. Les Funky Swing Dancers, quatre excellents danseurs avec des chorégraphies bien réglées, sobres et en tenues recherchées (Claude Gomis, Anna Rio, Maka TheMonkey, Alexandra Karsenty, chorégrahie en solo curieusement de dos sur «The Mooche») et un claquettiste (Jeremy Champagne, brillant, sauf pour le costume pas dans l'esprit d'une revue) ont enrichi la soirée, le public s’invitant même devant la scène pour un rappel dansé par tous, public et artistes mêlés. Le festival était à son moment de communion le plus hot!
La dernière soirée nous proposa en préambule à 19h30 un all stars des héritiers de Claude Bolling jouant sa musique dans toutes ses dimensions, jazziques et cinématogrphiques, avec Patrick Artero, Claude Tissendier, Philippe Milanta, Pierre Maingourd, Vincent Cordelette. La perfection, la cohésion et un brin de fantaisie (Milanta excellent) ont fait de ce concert un grand moment autour des compositions de Claude Bolling («Here Comes the Blues», «Borsalino», «Just for Fun», «Feed the Cats», «Jazzomania», «Duke on My Mind», «Take a Break», «Valentin», «For Jammers Only»…). Claude Tissendier évoqua avec sa naturelle modestie et son talent savant le grand Benny Carter, et Vincent Cordelette confirme son excellence. Ces musiciens, le haut du pavé du jazz en France, sont aussi des modestes malgré de grandes carrières. Ils sont jazz. La perfection de leur art mérite toute notre admiration. Le dernier concert de cette édition permit de découvrir un excellent big band, l’Orchestre National de Jazz du Luxembourg dirigé par Gast Waltzing, directeur plein d’humour (autodérision parfois sur le Luxembourg, d’où peut-être le titre ONJL) et de dynamisme, un excellent professionnel de la musique, arrangeur, qui a côtoyé beaucoup de grands artistes, de toutes les univers de la musique, et continue une belle carrière d’écriture. En venant dans ce festival si bien défini, avec cette formation consacrée au jazz, il a savamment respecté le public, proposant un programme de «classiques» (Sam Nestico, Quincy Jones…) mais en l’invitant à découvrir par ailleurs un travail de création de cet orchestre qui ne manque pas de qualité pour les compositions (comme pour les arrangements et l’exécution) où David Askani se tailla la part du lion des chorus de saxophone, avec le guitariste David Laborier, futur leader de l’ONJL et bon compositeur, et un jeune violoniste prometteur, Jean-Jacques Mailliet. Gast Waltzing en leader très remuant de l’orchestre proposa au pays de Prévert et Kosma «Les Feuilles mortes» mais aussi Horace Silver et quelques originaux vinrent parachever une bonne prestation où s’illustra en particulier un très bon Niels Engel (dm), qui souleva la foule pour le rappel avec un somptueux chorus de batterie dans la grande tradition des drummers de big band, les Chick Webb, Louie Bellson, Gene Krupa, etc. Et Niels Engel le fit avec le sourire, comme dans la tradition! Le public en redemanda comme il l’a fait tout au long de ce 17e Festival, pour manifester son adhésion. C’était la belle conclusion d’une très bonne édition du Festival de Big Band de Pertuis, et l’adjointe à la Culture travaille d’ores et déjà sur la prochaine édition avec Léandre Grau et son équipe, donnant le sentiment qu’au-delà de la Durance, à Pertuis, tout est simple et naturel, humain en un mot: le contact avec les musiciens, l'accueil des journalistes et des photographes, l’organisation, avec ce sentiment que le temps s’est d’une manière arrêté sur l’époque où le jazz brillait en France de son enthousiasme et de ses amateurs-savants. Un rayon de soleil dans l’univers assombri des festivals, si «professionnels» mais de moins en moins jazz, par l'esprit et le contenu. Yves Sportis
Photos Ellen Bertet et Marcel Morello, by courtesy of Festival de Big Band de Pertuis Le détail des formations 3/8 Tartôprunes 4/8 Martine Kamoun (voc) Quintet, Gérard Murphy (as), Sébastien Germain (p), Yann Kamoun (b) , Alain Couffignal (dm) 5/8 Les Tontons Zwingueurs 7/8 Dirty Airman 8/8 Swingin’ Bolling © Jazz Hot n° 673, automne 2015 |